Comment donner vie à une politique de la pente
Élections 2026 (3/3). Dans la perspective des élections de mars prochain, on propose une méthode pour donner vie à une politique en montagne, entre soin du consensus et culture du bien commun.
⟶ Docteur en histoire, je suis l’auteur de plusieurs livres dont la trilogie en cours
Les Alpes du Futur (
disponibles aux Éditions Inverse).
⟶ Ma conviction forte de conférencier et de conseiller est que l’expérience historique est un formidable outil au service du futur des territoires alpins.
⟶ Mes offres sont sur
mon site, et mon CV sur
Linkedin.
⟶ Pour en discuter, n’hésitez pas à m’écrire à l’adresse suivante : severin.duc@backfuture.fr
Les inquiétudes alpines exigent des décisions audacieuses.
Prochainement, Back/Future va prendre le chemin de la pente. Je vais inscrire ma méthode dans des moments concrets, hors-salle, face aux éléments (même s’il pleut, même s’il neige), droit dans le pentu.
Je prépare le lancement d’une Masterclass d’immersion d’un nouveau genre, réservée à douze acteurs du changement : l’« École de la Pente ».
En mouvement et grâce à l’histoire alpine, nous irons sur le terrain, décrire et écrire le futur de nos territoires. Je vous en dirai plus le mois prochain.
En tout cas, l’heure est venue de mettre la politique de la pente à l’épreuve du réel :-)

1/13. En attendant ces nouvelles aventures, revenons à nos élections municipales de mars prochain…
Après des décennies dans le guidon des certitudes, les choses deviennent moins simples et moins linéaires. Le dérèglement climatique est croissant et notre système occidental s’invente des difficultés… au risque de se perdre dans des solutions aussi extrêmes qu’absurdes.
Le futur ne sera jamais ce reset complet que beaucoup attendent, espèrent ou craignent. L’historien sait en effet que les sociétés, en tout point magmatiques, restent indexées à la longue durée, en particulier celle des mentalités et des territoires.
2/13. Avec l’historien Fernand Braudel, on peut dire sans hésiter que “l’espace ne cesse de prendre sa revanche, d’imposer le renouvellement des efforts”1.
Appliquée à la montagne, cette réflexion de cet amoureux de la Haute-Savoie signifie que la pente obsédante des montagnes imprimera toujours sa force (productrice et destructrice) sur les populations alpines. J’en ai longuement parlé dans une interview donnée à Syntopia Alpina2.
3/13. La pente et l’effort, donc l’adaptation. Telle est l’une des leçons des Alpes. Clairement, rien ne s’est jamais fait simplement en montagne… alors que l’État traverse une crise profonde d’identité et tourne le dos à la notion de bien commun, alors que les élus veulent être réélus et que la bureaucratie gouverne une « monarchie de papier » (une expression chère aux historiens modernistes).
Alors, coupons France Inter (ça fait du bien, non ?) et prenons le chemin de la Grande Casse récemment magnifiée par les géomètres-experts de la région.
4/13. Une véritable politique en montagne, celle que j’appelle une politique de la pente, doit retourner le gant de la politique nationale. Bref, prendre à revers ce qui nous étouffe et nous inquiète.
Avec foi, repartons des échelles locales-régionales pour penser et faire ce monde qui nous attend.
Pour outiller tout cela, je vous propose d’ouvrir le troisième et dernier volet de notre série consacrée aux élections municipales de mars 2026. Aujourd’hui, on parlera de « bien commun »… après avoir réfléchi, en août, aux enjeux du dérèglement climatique et, en septembre, aux conditions de la prospérité en milieu contraint.
5/13. Dans les Alpes, les citoyens comme les candidats affronteront une question fondatrice : « comment faire pour mieux vivre ensemble ? »
Les réponses seront multiples mais on partira d’un postulat simple : l’action politique doit prendre soin du commun, c’est-à-dire soigner les liens et les lieux.
Je crois que cet idéalisme démocratique a encore une puissance de réalisation à l’échelon local. Cela commence par respecter l’autre et ne pas le prendre pour un idiot.
6/13. Quand on est de droite (je schématise un peu), cela pourrait signifier apprendre à ne pas mépriser celles et ceux qu’on appelle, un peu vite, des « écolos » ou des « néo-ruraux » (même s’ils nous énervent).
Ce profil d’habitant est appelé à se multiplier dans les Alpes. Par conséquent, une liste électorale devrait se demander ce qu’elle peut faire des demandes de changement venant de ces populations nouvelles ? Où tracer la ligne entre l’acceptable et l’intolérable ?
7/13. Inversement, quand on est de gauche (là, je schématise aussi un peu), surtout si on vient d’ailleurs, il faut savoir peser ses mots et affronter le réel, à savoir respecter des sociétés de montagne pour qui le conservatisme est une vertu qui permet d’éviter d’être soumis à la puissance des forces extérieures.
C’est pourquoi une liste électorale devrait se demander ce qu’elle peut faire des besoins de réassurance des habitants de longue date. Où placer la limite entre l’immobilisme de sidération et les nécessaires (mais douloureuses) adaptations ?
8/13. Bien évidemment, le paysage politique alpin est bien plus compliqué que ma carte en deux couleurs.
Mais avançons un peu plus loin.
De manière assumée, l’énergie des listes municipales devra se concentrer sur le futur qu’elles proposeront plutôt que sur l’adversaire qu’elles désigneront. Le débat devra se jouer là-dessus : qu’est-ce que les listes en concurrence auront à proposer pour mieux vivre demain dans les Alpes ?
Vaste sujet, me direz-vous ! On en parle depuis longtemps ici et dans mes livres.
9/13. Commençons par dire que, dans les Alpes, notre capacité à faire société en dépit des tensions est censée être notre plus grande force. Parce que, précisément, la montagne est le monde par excellence des conflits d’usage autour de ressources réduites.
En d’autres termes, c’est parce qu’on ne peut pas tout faire, partout et tout le temps qu’on a appris à se mettre autour de la table, à discuter et à négocier… comme les paysans du Valais ou de Savoie qui se répartissaient les tours d’irrigation.
Bien entendu, les archives judiciaires savoyardes et valaisannes sont là pour rappeler que les excès autour de l’eau ont toujours fait florès. Cela dit, respecter l’autre dans ses droits, c’est la direction vers laquelle on doit tendre. Alors autant entamer la route ensemble dès maintenant. Tout va bien se passer.
10/13. La culture du bien commun suppose celle de l’arbitrage, donc de la modération de ses intérêts propres. Tandis qu’il enrichit la Silicon Valley, le business du clivage porté par les réseaux sociaux foule, lamine et détruit le principe même de la démocratie. Le « tout pour moi » sans négocier, ce n’est pas l’exercice de la liberté mais celui de la licence débridée.
Pour reprendre un mot important d’Albert Camus, un homme doit savoir s’empêcher.
Dans un contexte local potentiellement sous tension, la gouvernance locale doit demeurer une institution qui arbitre les conflits et non se rapetisser au rang de chambre d’enregistrement des volontés d’un groupe de privilégiés. En d’autres termes, la pression sur les ressources doit être la matrice, l’énergie, la raison d’être d’une pensée politique de la pente : administrer la chose publique, ce n’est pas favoriser, c’est arbitrer.
11/13. Dans cette perspective, les héritages ne sont pas des poids, dès lors qu’on les considère comme des sources d’inspiration pour d’autres projets collectifs. Même la grande aventure des sports d’hiver doit être pensée dans cette optique.
Elle est challengée, on le sait, mais quelle place lui donner ? Et si elle devait se réduire, que faire, concrètement, pour accompagner le tuilage nécessaire ? Un projet local devra y répondre en plaçant le soin comme objectif vers lequel tendre : le soin de la communauté (l’âme des lieux, fut-elle arrimée aux joies de l’hiver) et le soin de la montagne (notre matrice, celle qui ferait bien sa vie sans nous, mais qui peut souffrir à cause de nous).
Le pouvoir politique local devient alors celui qui trouve la juste mesure. Cela s'appliquera aux trois piliers historiques de l'économie alpine : une agriculture qui se renforce et qu’on protège, une industrie qui se spécialise dans la qualité, et un tourisme qui investit, s’il en est capable, une partie de ses profits dans d’autres secteurs. Un travail d’équipe est à mener pour avancer tous ensemble.

12/13. Si les Alpes sont à une nouvelle croisée des chemins (par exemple, après le passage de l’agriculture traditionnelle à l’industrie lourde puis à l’activité touristique), les défis qu’elles affrontent ouvrent des fenêtres d’opportunité. Il est impératif d’oser changer de perspective : la question n’est pas de gérer/subir les contraintes, mais de s’en servir comme d’un tremplin pour générer de la prospérité.
Il est vital que le dérèglement climatique devienne un des moteurs de notre économie de l’adaptation dans les Alpes. Les pouvoirs locaux (actuels et à venir) doivent en prendre conscience. Dossier immense, j’en conviens. Il faut donc l’ouvrir au plus vite.
13/13. Face au dérèglement climatique, notre plus grand défi est sans doute de surmonter le sentiment d’impuissance et l’immobilisme. L’histoire le prouve : la sécurité ne vient pas de la survie individuelle. La réponse est dans le groupement, l’association, la résistance collective, donc la communauté d’action.
Le soin des gens et des lieux et la bonne gestion des biens communs sont indissociables de la prospérité économique. L’enjeu est de faire vivre dignement une communauté en gérant intelligemment les ressources et en se projetant dans l’avenir.
La bonne gestion des communs et la juste échelle de décision sont donc les outils qui nous permettront de dépasser les conflits d’usage, de construire une culture du consensus, donc de produire du travail collectif, passerelle vers le bien vivre dans les Alpes. Cela nécessitera des efforts, mais cela en vaut la peine, non ?
En quelques mots, résumons cet article : dans les communes alpines, la formation de collectifs soigneurs du bien commun est une étape essentielle pour produire une robustesse accrue face au dérèglement climatique.
Plus on voudra « bien vivre ensemble », plus il faudra donner du sien à la vie de sa commune : apporter une pierre à la digue, puis tracer un chemin… entreprendre…voter… se présenter… s’unir. Bref, oser et prendre des risques.
Ici, il s’agira d’incarner, sous le regard des jeunes générations, des figures exemplaires de création, de transmission et de construction.
Nous en sommes capables.
Séverin Duc
⟶ Docteur en histoire, je suis l’auteur de plusieurs livres dont la trilogie en cours
Les Alpes du Futur (disponibles aux Éditions Inverse).
⟶ Ma conviction forte de conférencier et de conseiller est que l’expérience historique est un formidable outil au service du futur des territoires alpins.
⟶ Mes offres sont sur
mon site, et mon CV sur
Linkedin.
⟶ Pour en discuter, n’hésitez pas à m’écrire à l’adresse suivante : severin.duc@backfuture.fr

Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles, Paris, Armand Colin, 2022 (1ère édition 1979), tome 3, Le temps du monde, p. 16.
Revue de l’Urner Institut Kulturen der Alpen lié à l’Université de Lucerne et basé à Altdorf (Uri).