Le temps du courage ou comment agir aujourd'hui pour les Alpins de demain
Terres d'en-haut, territoires d'avenir (2/3). Après les résultats des élections européennes, je me demande quel horizon politique constructif et vertueux on peut imaginer pour nos Alpes.
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Depuis plusieurs jours, les résultats des élections au Parlement européen sont sous le feu de la rampe. N’étant pas expert en sciences politiques, je ne m’aventurerai pas sur le terrain du diagnostic du moment et des interprétations structurelles.
Savoir pourquoi et comment l’extrême droite a conquis les esprits en Europe nécessite du temps et des compétences dont je ne dispose pas ; d’autres les ont, à l’image du Suisse Damir Skenderovic ou du Français Jean-Yves Camus.
En revanche, je me sens capable de réfléchir à une échelle que je connais bien (celle des Alpes) et dans une durée autre que médiatique (le temps long). À ce titre, s’il est une réalité qui prend du temps à se construire, c’est la notion de “bien commun“. Fragile, on doit en prendre soin… et ne pas voter comme on lancerait des couteaux sur une cible honnie.
Cela étant dit, étoffons notre démonstration (et le tout, en images, fort belles, des Alpes).
1/15. La semaine dernière, j’ai parlé de “politique de la pente”. Aujourd’hui, voyons ce qu’elle peut signifier quand on la fait dialoguer avec la notion de “bien commun dans les Alpes”. D’emblée, je situe cette notion à la croisée :
de l’éthique (avoir une conduite morale) ;
de la politique (agir au service du bien commun) ;
du territoire vécu (œuvrer pragmatiquement en montagne).
2/15. Dans cette perspective, le temps du courage a sans doute sonné pour celles et ceux qui ont l’envie d’agir au service de sa communauté, dans les Alpes.
Si pas aujourd’hui, quand ? Cela signifie prendre sa part, toute sa part, en fonction de ses compétences et de ses capacités. C’est que j’essaie de faire ici, en tant qu’historien soucieux du futur des Alpes.
Et comme on a un peu oublié nos fondamentaux ces derniers temps, repartons de la base.
C’est quoi vivre en république ?
3/15. Le mot “république” tient son nom du latin “res publica”. Littéralement, elle est la “chose publique”, à savoir toutes les affaires qui regardent, non mon nombril, mais le commun partagé et discuté avec mes pairs. Ce commun peut prendre le nom de Cité ou “polis” en grec. Par extension, la Cité désigne aussi sa juridiction, bref une Cité est aussi un territoire.
Être membre de cette Cité, c’est être un citoyen ou une citoyenne (que ce soit à l’échelle locale, régionale, nationale ou européenne), un rôle-clé de la sphère publique. Par conséquent, la Cité se composera de ce que chaque citoyen ou citoyenne sera capable d’investir dans le commun au-delà de ses intérêts propres. Faire avec les autres, c’est cela exercer sa citoyenneté.
4/15. De l’exercice de leur citoyenneté chez chacun des individus naîtra la possibilité de faire une société (de “socius”, celui qui s’associe, s’allie) laquelle, sous nos tropiques, règle ses rapports politiques à l’aune des principes démocratiques. En effet, dans l’idéal, le kratos/pouvoir est censé être aux mains du demos/peuple.
Or, nos sociétés sont tellement complexes que la délégation du pouvoir semble, tôt ou tard, inévitable. Il faut des représentants du peuple, au risque d’une confiscation par quelques-uns (l’oligarchie) ou par un seul (la tyrannie). C’est pourquoi nous votons pour élire ceux que nous pensons les plus proches de nos aspirations (vote vient de votus, le vœu). Puis, on croise les doigts ?
Avant de répondre à cette question, continuons, si vous le voulez bien, notre voyage en terre politique.
5/15. Pour se protéger, la Cité doit disposer de moyens humains, matériels et financiers pour le dedans (afin de rendre justice) et vers le dehors (pour se défendre). L’impôt est une réponse étatique à ces nécessités vitales : éviter la guerre civile et parer aux assauts extérieurs. C’est le rôle de ce qu’on appelle l’État.
On le voit : État et politique sont intimement liées au point, parfois, de se confondre. Toutefois, la politique ne saurait se concevoir comme une simple science de l'action. Elle doit aussi tracer un chemin, donner une direction sincère vers une chose publique belle et bien partagée et, pourquoi pas, le bien commun.
6/15. C’est pourquoi imiter Machiavel est la plus belle des sottises. Voyez comment la république de Florence est morte en 1530 : divisée, assiégée et tombée dans les mains de l’empereur Charles Quint. La manœuvre politique est un écheveau de courte-vue, donc de perdant.
Allez, j’ose le dire : Machiavel ne me fascine pas car c’est un looser qui ne croyait en rien et qui n’a jamais rien réussi. Tous ses plans, tous ses paris ont échoué. Nous devrions fuir les hommes politiques qui s’en inspirent.
Pour être utile et durable, l’action publique doit se doubler d'une conduite morale tendue vers le soin de l’autre, à tout le moins le désir de faire quelque chose avec lui. Contrairement aux apparences, rien n’est moins politique que les pulsions de la fracturation et du rejet. En revanche, ce qui est durable, c’est l’aspiration collective au bien commun.
Au regard des défis présents et futurs, je vous donc propose d’appliquer la notion de “bien commun” à nos bien-aimées montagnes.
7/15. Commençons par dire que l’Arc alpin est morcelé politiquement. Pour les 13 millions d’Alpins et d’Alpines répartis sur 190 000 km², on dénombre six républiques démocratiques (France, Suisse, Italie, Autriche, Allemagne et Slovénie) et deux principautés (Monaco et Liechtenstein).
Autrement dit, les Alpes ne sont pas sous la juridiction d’une seule Cité. L’Union européenne pourrait être la seule juridiction qui rassemble l’ensemble de l’Arc alpin, mais le cœur des Alpes, la Confédération helvétique, fait cavalier seul.
8/15. Si on met de côté la Suisse, l’Europe peine à devenir cette Cité universelle que fut l’Empire romain en son temps, c’est-à-dire un ensemble politique capable de produire un engagement d’intensité supérieure. Donnons-lui du temps et soyons indulgents. Par contraste, les territoires alpins du quotidien sont capables depuis des siècles de produire cet engagement supérieur tant espéré.
Ajoutons que, si les territoires alpins ont des points communs avec le reste de l’Europe (ils sont largement urbanisés), ils s’en distinguent par la rapidité et la brutalité des changements socio-économiques induits par le dérèglement climatique.
9/15. Avec des variantes locales, l’Arc alpin va prendre une seule et même courbe : celui de massifs montagneux touchés sévèrement par le dérèglement climatique, là tout sera moins lisible, moins prévisible et moins stable.
En d’autres termes, s’en prendre à l’Union européenne, c’est trouver une solution trop facile à un problème bien plus complexe.
10/15. Dans les territoires touristiques des Alpes, plus les années passeront, plus les conditions de reproduction de la rente hivernale (en d’autres termes, l’industrie du ski) remontera en altitude. Il se concentrera sur un archipel situé à plus de 2000/2200 mètres tandis que, subissant le vieillissement de la population, les bassins d’emplois seront d’autant plus déstabilisés.
J’espère me tromper (et j’aimerais avoir tort) mais les territoires qui n’auront pas cultivé le bien commun ni anticipé la décrue du tourisme hivernal se videront d’une partie de leurs habitants tout en basculant dans l’extrême droite.
11/15. La leçon implacable de l’histoire est que là où les rentes se tarissent, les territoires meurent et les extrêmes prospèrent : c’est la leçon du Nord de la France privé des Charbonnages de France et désormais place-forte du RN ; c’est l’enseignement de l’ex-RDA, biberonnée aux ressources de l’étatisme communiste, devenue aujourd’hui bastion de l’AfD.
À l’inverse, les territoires alpins qui ont investi de longue date dans la durabilité de leur écosystème si fragile s’en tirent très bien.
12/15. Par exemple, dans les Alpes bavaroises, bien que leurs stations de Garmisch ou Partenkirchen soient situées à des altitudes inférieures à 1000m, les élections de 2024 ont confirmé une étonnante stabilité de la CSU, petite-sœur démocrate-chrétienne de la CDU, avec généralement plus de 40% des voix.
Solidement arrimées à la métropole munichoise, les Alpes bavaroises disposent surtout depuis… 1972 d’un Plan de gestion durable en trois zones distinctes. De la même façon, en Autriche, le Tyrol est largement demeuré aux mains de l’ÖVP, démocrate-chrétien comme la CSU bavaroise.
13/15. Ailleurs dans les Alpes, pour relever les défis inédits du dérèglement climatique, les partis populistes feront montre, comme leurs acolytes de la plaine le font depuis longtemps déjà :
d’un système moral défaillant (diviser la société pour mieux régner) ;
d’un goût pour l’irresponsabilité (c’est toujours de la faute d’un autre) ;
d’un usage démagogique des finances publiques (la planche à billets).
14/15. Or, les défis alpins requièrent :
d’agir au service du bien commun, donc de l’équilibre socio-économique des territoires de montagne ;
d’arrêter de se victimiser en cessant de fantasmer des ennemis intérieurs ou extérieurs ;
de gérer efficacement des finances menacées par des dépenses de plus en plus imprévues.
15/15. Pour ces six raisons, à l’horizon des prochaines élections et des suivantes, je retiens comme indispensable le soutien voire la constitution de listes derrière des candidats et des candidates qui :
placeront leur communauté et leur territoire au centre de leur projet.
se retrousseront leurs manches et prendront leur avenir en main avec un projet ambitieux et enthousiasmant, donc fédérateur.
s’engageront à un financement vertueux de projets durables.
Nos Alpes méritent de le tenter, n’est-ce pas ?
La politique est un outil au service d’une cause qui la dépasse : renforcer la maille territoriale, celles des lieux, des citoyens et des projets collectifs. Cela prend du temps de bâtir une Cité, une petite république, une “chose publique”, un terrain d’entente, d’espoir et d’action. C’est pourquoi il faut commencer dès les prochaines élections.
Qu’on se le dise encore une fois : seule une société soudée et unie trouvera les ressources morales et intellectuelles pour relever honorablement et efficacement les défis provoqués par le dérèglement climatique.
En attendant, on continuera de prendre sa part, chacun à sa façon et avec ses moyens, au service du bien commun.
Portez-vous bien.
Séverin Duc
Analyser, conseiller, communiquer dans les Alpes
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