Où va la Chine de Xi ?
Une histoire récente au péril du syndrome de Stockholm.
1/9. A la fin du mois d’octobre, le XXe Congrès du PCC a livré une scène particulièrement dérangeante. Sur l'estrade des dignitaires du régime, Hu Jintao, homme fort de 2003 à 2013, est sous le choc. Hagard et sidéré, il est conduit vers la sortie sous le regard glacé de Xi Jinping. L’assistance, peuplée de calques en costume noir, chemise blanche et cravate rouge, n’offre aucun regard de compassion.
2/9. Avec le renforcement du pouvoir de Xi, certains pourraient craindre un accroissement de la puissance chinoise. A court terme, sans nul doute ; à long terme, on peut en douter. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l'autoritarisme, sur le temps long, ne renforce pas la puissance d'un pays mais la détruit.
Pour y voir plus clair, il faut convoquer l’Histoire.
3/9. Depuis Deng Xiaoping (1981-1989), un cap était établi : seule l’ouverture aux échanges pouvait renforcer une Chine (et donc le Parti), trop longtemps repliée sur elle, captive du délire des purges maoïstes. Au cours des décennies 1990-2000, cela semblait fonctionner. L’ouverture (parfois sauvage) plaçait la Chine au cœur de la compétition mondiale. Une forte croissance se fit jour, et la Chine pouvait espérer de redevenir incontournable et respectée... puis crainte.
4/9. Sous l’œil inquiet de l’Occident, la Chine de Hu Jintao (2003-2013) apparaissait comme le principal game changer de la Pax americana. Sous surveillance du Parti et dans tous les excès du capitaliste naissant, un esprit d’initiative individuel, donc d’innovation, se faisait jour. Deux signes : de grands patrons narcissiques et une classe moyenne consommatrice émergaient. Suivant le scénario libéral, la croissance de l'économie devait faire le lit des libertés politiques.
5/9. Puis, arriva Xi Jiping. Fils doré du régime maoïste, Xi a assisté en 1962 à la chute de son père. Il est âgé de 9 ans quand son père est désigné « ennemi du peuple » et contraint à l'auto-critique. Commence un itinéraire traumatique : sa sœur se suicide et lui, Xi, prince déchu, grandit en camp de rééducation. Finalement, c'est la libération et, après de nombreux refus, l’adhésion au Parti de Mao, bourreau de son père, en 1971.
6/9. Depuis 2013, une victime de l'ère maoïste repivote progressivement la Chine vers ses démons concentrationnaires donc autodestructeurs. L'Histoire semble tourner en boucle sur le même film de violence. En d'autres termes, il s'agit d'un trauma jamais digéré. Les dossiers ouïghour, hong-kongais et taïwanais disent la même chose que le passeport social et la politique Zéro-Covid : la conversion du Peuple chinois doit suivre les trois étapes de la vie traumatique de Xi. Comme si le trauma du dirigeant devait devenir le destin du Peuple.
7/9. Comme si le syndrome de Stockholm était la seule issue possible. Comme si le prisonnier ne pouvait survivre qu'en aimant son propre geôlier. Mais comment ? Tout d'abord, il faut briser et enfermer l'Autre, tous les autres, le Peuple (dans les villes ou dans des camps). Le pays devient colonie pénitentiaire où l'on supprime les rebelles et rééduque les autres. Brisés puis reprogrammés, les survivants apprendront eux aussi à aimer le Parti.
8/9. La mainmise sur les esprits et les corps des Chinois témoigne d’un pouvoir captif de cette Chine de Mao jamais digérée, un temps enfouie dans l’espérance de croissance, et là, resurgissant... au risque de l'affaiblissement durable de la Chine. L’esprit d’initiative (le droit à l'erreur et la possibilité de dire non) est prohibé. La peur devient la clé du jeu. Or, sans initiative ni confiance, il n'y a plus d'innovation, encore moins d'espoir.
9/9. Un dirigeant pragmatique sait que, sans avantages comparatifs dans la compétition économique, il suicide sa puissance. Il reste alors l'armée pour se convaincre qu'on est fort. Les seuls amis restants sont les autres dictateurs qui, eux-mêmes, tournent en boucle sur leurs propres traumas ; c'est l’autodestruction dans l'enfermement.
Séverin Duc.