Les Lieux des Alpes (3/3). Des "petits morceaux d'humanité"
Après tout, qu’est-ce qu’un lieu ? J’aime bien la réponse de Marc Augé. Un lieu, ce serait un “petit morceau d’humanité”. Dans ce cas, on peut le dire : dans les Alpes, il y a beaucoup d'humanité.
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Dans la série Les Lieux des Alpes, on est allé scruter l’envers du décor alpin, derrière l’affiche publicitaire qui tient plus d’un travail d’imprimeur que de la réalité du terrain.
Derrière le panneau, on a mis en évidence les “non-lieux” les plus extrêmes : les stations de ski des Trente Glorieuses. Dans 100 ans, en parlera-t-on comme ces colonies ultramarines qui se dissolvèrent dans la jungle de leurs contradictions (comme la France antarctique) ?
1/7. Parachutées sur les cimes par une volonté politique venue d’ailleurs, les stations de ski des Trente glorieuses incarnent toutes les limites du consumérisme : des projets économiques décorrélés de tout projet de société.
On a cru que la montagne pouvait devenir un parc d’attraction, que les clients seraient “satisfaits”, que les caisses publiques et privées se rempliraient, comme ça, l’air de rien. Qu’on verrait bien ce que ça donnerait dans la durée. Et puis que les crétins des Alpes entreraient enfin en civilisation.
Quand on a dit cela, on fait quoi ?
Pour commencer, il faut sortir du débat stérile des surmodernes et des traditionnalistes.
2/7. En 1993, Hubert Bessat et Claudette Germi prenaient à bras-le-corps (ou plutôt au raz-des-pentes) la question de la dissolution des lieux alpins dans la surmodernité des non-lieux touristiques.
Lieux en mémoire de l’alpe. Toponymie des alpages en Savoie et Vallée d’Aoste se voulait “une victoire contre l’oubli.” Lequel ? L’oubli, bien-sûr, des cartographes, mais aussi l’oubli des locaux qui se coupaient de la longue histoire de leurs territoires alpins. En somme, l’oubli de soi-même.
En se coupant de la connaissance des lieux et des noms de lieux (qui désignent le milieu naturel comme le milieu pastoral et humain), on oublie qu’on doit prendre sa part dans leur vie et leur défense.
Cela dit, comment s’y prendre ?
Comment remettre la main sur son “petit morceau d’humanité”, pour reprendre les termes de Marc Augé ?
3/7. Quand on souhaite défendre ou faire prospérer un lieu alpin, on est tenté de mettre en narration le passé et le terroir. Et là, le problème dépasse largement le monde des stations pour embrasser celui des vallées alpines.
Face à la surmodernité, on peut être tenté de “jouer les indigènes”. En un mot, le consumérisme peut produire le folklorisme. On met des gilets et on fête le terroir devant un public de smartphones. Dans les non-lieux, on veut séduire l’Autre, à tout prix.
Est-on alors réellement soi-même ? Ne pas se poser la question de la dignité, c’est risquer que d’autres y répondent à votre place.
4/7. Par esprit de révolte face au passé instagramé, il est tentant de voir l’Autre comme un intrus qui a brisé la chaîne des temps. On aurait envie de dire que c’était mieux avant, avant l’invasion du “Parigot, tête de veau” (Une fois, j’en ai vu un qui avait sorti le crick et démonté ses pneus pour mettre ses chaînes). On regrette “les lieux d’antan” et les “métiers d’autrefois”.
Là non plus, ça ne va, ça ne colle pas.
Le consumérisme du passé et le traditionalisme sont peut-être ennemis, mais ils sont aussi des frères. Leur matrice est la même. Ils croient qu’on peut réinventer le passé à sa guise, en fonction des besoins/angoisses du moment. Non seulement les mondes dont ils parlent n’existent plus, mais je crois qu’ils n’ont jamais vraiment existé.
La nostalgie, c’est un truc de modernes.
5/7. Comment sortir de l’impasse ? Comment faire des lieux et des non-lieux des "lieux du futur" ?
L’étape fondatrice est le refus net des représentations fixistes et fantasmées : je veux dire celles des brochures promotionnelles et des cartes postales en noir et blanc. Les Alpes méritent tellement mieux.
Un lieu alpin, c’est “un petit morceau d’humanité”. C’est quelque chose de vivant, ce sont des personnes, des maisons, des rues, des animaux, des plantes, des rochers et des eaux.
Un lieu, c’est aussi des regards qui se croisent, des désirs de faire des choses ensemble, à l’échelon local. Un lieu, c’est un groupe de personnes qui savent que, seules, elles n’y arriveront pas.
6/7. Un lieu, c’est un collectif qui considère les expériences et les réflexions, non comme un préalable à l’action, mais comme les colonnes portantes d’un lieu, comme des outils indispensables à la durée.
C’est l’état des lieux, la lente réflexion sur le Nous et l’action de ce Nous dans un lieu qui le fait vivre. Pas une injonction ou une subvention venues d’en-haut ou d’ailleurs.
Un lieu, c’est aussi une somme de questions dont on cherche ensemble les réponses : Où vivons-nous ? Quelle sont l’histoire et la géographie du lieu ? Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où voulons-nous aller ?
7/7. Voulons-nous vivre un futur commun, affronter ensemble les joies et les peines du monde à venir (plutôt que de nous replier dans nos sphères domestiques) ?
Un “petit morceau d’humanité” doit penser à lui, puis aux autres, et non l’inverse. Dépasser la standardisation des montagnes et des solutions à venir. Refuser le copier-coller des solutions toute faites. Imaginer des solutions viables, durables et prospères.
En se demandant “ce que nous faisons, ici et maintenant, pour demain et nos enfants”, on vit l’expérience du lieu comme “petit morceau d’humanité”.
Tel ou tel lieu alpin doit être pris au sérieux, regardé, ausculté, respecté, bref aimé. Uniques, mouvants, fluctuants, incertains, les lieux des Alpes sont des sommes d’individus, des communautés, plein de choses à vrai dire. Ce sont aussi des possibles et des rêves.
Et ces rêves, on les fait les yeux grands ouverts.
A bientôt et, en attendant, portez-vous bien.
Séverin Duc (LinkedIn).
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C'est un beau terroir avec des valeur fortes, chaque petit lieu d'humanité peut se réinventer pour durer. Ces dernières décennies nous ont appris beaucoup en peu de temps.