Les Lieux des Alpes (2/3). Hautes-terres et non-lieux
Back/Future et les Alpes, ça ne s’arrête pas avec l’hiver. En ce début de printemps, on essaie de voir si certaines stations ne sont pas, parfois, des "non-lieux".
Pour Back/Future, bien transmettre, c’est considérer son lecteur ou sa lectrice comme la personne la plus intelligente qui soit ; en tenant compte d’un paramètre : celui-ci ou celle-là a une vie et n’a pas vraiment le temps de lire des articles ou des livres spécialisés.
Pour relever le défi de la transmission respectueuse, il m’a semblé nécessaire de bâtir un cadre accueillant, d’inventer un style d’écriture et d’établir des formats dynamiques. Le tout permettant d’offrir des angles d’analyse originaux, qui ne transigent pas avec l’honnêteté et la rigueur.
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Semaine après semaine, nous voyageons ensemble à travers le temps et l'espace. Avec élégance, nous naviguons entre le passé et le présent, et essayons d'imaginer un autre futur. Et pourquoi pas un futur meilleur ?
Bienvenue à bord !
Séverin Duc (LinkedIn).
1/7. Les tumultes du pouvoir central rappellent combien les grandes échelles ont quelque chose d’inhumain. Plus le temps avance, plus je me demande si les grandes unités peuvent réellement déboucher sur une démocratie véritable. Les grandes entreprises n’en sont jamais ; les grands États non plus.
Quant à la question de savoir si un État “tout court” peut être démocratique, c’est une question à confier à la philosophie politique. L’anthropologie, de son côté, pourrait questionner ce type d’État qui s’imagine bon père et bon berger (comme l’Église se fantasma en son temps).
Elle observerait un État qui animalise les collectifs, verticalise ses relations avec ce qu’il considère comme ses ouailles (de ovis, le mouton), et qui, chiens de troupeau aidant, les brutalise dans ses nasses.
L’État pastoral encadre et châtie parce qu’il sait bien mieux que vous ce qui est bon pour vous. D’où la devise la plus toxique de toute l’Histoire : “Qui aime bien, châtie bien”. Dans les faits, l’État n’aime que deux choses : lui-même et l’ordre.
2/7. Par contraste, l’échelon local (de locus, le lieu) me paraît le plus sain car le plus humain. Dès lors que l’on veut construire une société équilibrée, pérenne et prospère, l’échelon local est à défendre et à favoriser. Là, les humains se côtoient, sans nécessairement s’adorer. Toutefois, ils s’unissent bien souvent autour du même amour : celui de leur territoire. Là, à cette échelle, il est possible de partager tout un réseau de valeurs.
Quant à décider du futur du territoire, c’est une autre chose. C’est un débat ouvert, et cela s’appelle la démocratie. Dans cette perspective, il me semble que les Alpes sont un des laboratoires par excellence de la réflexion démocratique “localisée”. Je ne suis pas, de loin, le premier à le dire, mais il est utile de le répéter.
A ce titre, j’aime beaucoup la pensée d’Enrico Camanni. On la retrouve notamment dans sa Storia delle Alpi et ses Alpi ribelli. Parfois, j’ai l’impression qu’on lit peu les auteurs alpins d’Italie. C’est dommage, car, là-bas, on voit les choses un peu différemment. De même qu’en Autriche et en Suisse.
Dans une prochaine série, Back/Future proposera d’y remédier.
3/7. Au sein de notre premier volet des Lieux des Alpes, nous avons fait toute sa place à la pensée de Marc Augé. Nous avons voulu montrer que certains espaces touristiques alpins étaient devenus des “non-lieux” car ils étaient “sur-modernes”.
On a parlé de certains espaces alpins transformés en parcs de loisir consuméristes. Là, on a pu voir que l’espace montagnard était comprimé et le temps accéléré au profit de clients asservis. On s’était finalement demandé comment il était possible d’habiter à l’année un type d’espace pensé et construit pour accueillir des touristes à la semaine.
Comme tout environnement, la montagne a besoin de temps.
4/7. On rappellera ici que toutes les stations de ski ne sont pas des "non-lieux". Certaines ont réussi à préserver leur patrimoine culturel et à développer une identité propre, en mettant en valeur leurs traditions et leurs paysages uniques.
Généralement, les stations qui sont des “lieux” à part entière sont d’anciens villages. Cela veut dire qu’une communauté humaine existait avant l’aventure touristique. La première survivra à la seconde. Sans nul doute. En revanche, les stations bâties ex nihilo, parfois sur les meilleurs alpages, sont les plus susceptibles de subir la “sur-modernité” et de stagner dans les limbes des “non-lieux”.
Sur cette photo, à moins de connaître sa géographie et ses lignes de crêtes sur les bouts des doigts, on pourrait bien être “là” comme “ailleurs”.
Un “non-lieu”, c’est toujours un peu le même endroit.
5/7. Bien de nos stations alpines sont conçues pour offrir des expériences-clients similaires, avec des installations et des services standardisés pour attirer et satisfaire des clients de passage eux-mêmes standardisés (ou pensés comme tels). Hormis la sphère marchande, les touristes n’ont quasiment aucune interaction véritable avec la communauté locale.
Soyons provocateur, qui interagit vraiment avec le personnel d’un hypermarché ?
Par définition, un espace de transit et de loisirs n’est pas adapté à une vie quotidienne à l'année, pour la simple et bonne raison qu’il n’a pas été pensé et aménagé comme tel.
6/7. Les habitants permanents d'une station de ski peuvent peiner à trouver des espaces de vie conviviaux et adaptés à leurs besoins. Il est fort possible que les touristes n’aient pas conscience du prix sociétal et environnemental de leur petit plaisir hivernal.
Habiter à l’année dans certaines stations de ski, c’est vivre un environnement de moins en moins naturel, à commencer par ses pentes (modifiées pour être des pistes) et son réseau hydrographique fragilisé par le dérèglement climatique (et détourné dans des maxi-retenues en vue d’alimenter les canons à neige).
Dans ces conditions, habiter à l'année dans une station de ski, c’est vivre un espace aménagé pour quelqu’un d’autre qui, lors des “inter-saisons”, est absent. De septembre à novembre, puis d’avril à juin, la vie commerciale est parfois suspendue. A contrario des chantiers qui battent leur plein.
Au matin, ce n’est pas l’ami Ricoré, mais l’ami Bétonné.
7/7. Les stations de ski dépendent toujours de l’eau (liquide) et souvent de la neige pour leur activité économique, mais avec le changement climatique, l’eau et la neige sont déjà moins abondantes.
En un mot, les dérèglements du climat accroissent les vulnérabilités fondatrices des “non-lieux” d’en-haut. Portés par le profit seul aux dépends de l’environnement, certains non-lieux, déjà dépourvus de neige, pourraient aussi être frappés par des étés très chauds.
Dès aujourd’hui, les communautés locales doivent s’emparer de la situation. Elles qui, pourtant, sont rarement mises au centre des préoccupations des “sociétés d’aménagement”. Elles doivent remettre la main sur leur territoire.
Ailleurs, on le fait depuis plusieurs siècles.
Cela devrait donc être possible d’en faire autant.
La fois prochaine, pour remettre un peu de lumière dans tout cela, on en viendra aux solutions possibles. D’une part, pour que les “non-lieux” deviennent des “lieux”. D’autre part, pour que ceux qui le sont déjà continuent à se renforcer comme tels.
Pour répondre à ces défis, il sera bien-sûr nécessaire de repenser l'aménagement des espaces pour répondre au besoin des habitants permanents, donc des communautés locales.
Il sera en outre important de réfléchir à la manière dont les stations de ski peuvent renforcer leur communauté en s’emparant de leur histoire récente, en l’intégrant à un récit collectif pérenne. Il s’agira aussi, sans nul doute, de réapprendre à prendre soin de la nature.
En attendant, portez-vous bien.
Séverin Duc (LinkedIn).
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Passion montagnes !! Merci ton analyse précieuse.