Les Matières-Premières et Nous. Histoire et futurs d'une question fascinante
Omniprésentes autant qu'invisibles, les "commodities" méritent qu'on les étudie de près, pour mieux les comprendre et, avec elles, notre monde, son histoire, son présent et ses futurs !
“Mardi 26 décembre 1492. Des Indiens arrivèrent en canoa, apportant quelques morceaux d’or qu’ils voulaient échanger contre un grelot. Car ils n’aimaient rien tant que les grelots. Le canoa n’avait pas encore abordé qu’ils appelaient et montraient les morceaux d’or, criant chouq, chouq, chouq pour signifier ces “grelots” dont ils étaient au point de devenir fous.” (Christophe Colomb).
Une rencontre, des Européens et des Caribéens, un métal lumineux et des objets sonores, des sens en éveil, des désirs croisés de posséder et de jouir.
Tout finira par déraper. Pour que la rencontre (et le dérapage) soit possible, il aura fallu trois matières-premières au moins : l’or des Indiens, la ferronnerie des Européens et… le bois des caravelles.
1/6. Au sein des séries Leçons d’Ukraine et Les Alpes du Futur, vous avez senti poindre mon attrait particulier pour les matières-premières. A l’Est, un sous-sol riche en gaz et en pétrole, des terres noires propices à la culture du blé ; dans les Alpes, l’abondance proverbiale de l’eau, sous sa forme solide (la neige skiable) ou liquide (l’hydroélectricité).
Là-bas comme ici, l’exploitation massive et abusive de telle ou telle matière-première produit des économies dépendantes et des sociétés fragiles. Quant aux pouvoirs politiques, ils ont été et demeurent souvent des gestionnaires de la rente.
C’est une évidence de dire que les matières-premières sont “partout”. Ainsi les actualités politiques, économiques et écologiques sont-elles saturées de pétrole et de gaz, de lithium et de métaux rares, d’or et d’argent, d’eau et de neige, de bois et de charbon, de pierre et de ciment.
Toutefois, on en parle plutôt de manière indirecte et moralisante. Les matières-premières, c’est surtout une question de pénurie, d’inflation, de pollution ou de trafic. En bref, parler des matières-premières, avant tout, c’est disserter de leurs “externalités négatives”.
2/6. Pour y voir plus clair, l’Histoire n’est pas d’un grand secours. Une bonne partie de la corporation brûle son énergie (et sa jeunesse motivée) dans des commissions de recrutement (sensiblement opaques), des colloques (où l’on somnole) et des articles à comité de lecture (que presque plus personne ne lit). Tout en s’effondrant sur elle-même, cette énergie don quichottesque n’est plus disponible pour rendre compte des pulsations du monde contemporain.
Le champ est laissé en libre pâture aux conteurs “grand public”. Il faut bien se le dire : ceux qui chantent “la grande et la petite histoire” ne sont pas des historiens et ils ne font pas de l’Histoire. Oscillant entre la fonction de valet et de troubadour, ils racontent “des” histoires. Ils enchaînent les anecdotes plaisantes, les mystères et les secrets. Rien de plus.
Et puis, un matin de février 2022, on se rend compte que notre système économique, et donc une partie du “pacte social” et des équilibres politiques, reposent sur des tuyaux au fond de la Baltique.