Les Grisons, cœur alpin (1/4). Géographie générale d'un canton montagnard
Aujourd'hui, nous partons à la découverte d'un canton iconique : les Grisons. Cependant, au-delà de la carte-postale de l'Engadine, les connaît-on vraiment ? Commençons par connaître leur géographie !

Auteur de
Les Alpes du Futur (
disponible ici aux Editions inverse), je suis fermement convaincu que l'expérience historique est un formidable outil au service des territoires alpins.
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Bonjour à toutes et tous,
Je vous souhaite une excellente nouvelle année. Puisse-t-elle être sous le signe de la sérénité, et des actions résolues. Pour ma part, je suis heureux de lancer la nouvelle saison de Back/Future avec un territoire qui m’est cher : le canton des Grisons. Ils sont un témoignage très intéressant des dynamiques puissantes qui traversent les Alpes depuis plusieurs millénaires.
Et puis ils sont magnifiques, comme ici l’Engadine.
La géographie et l’histoire comptent dans les Alpes. Rappelez-vous, en 2023, j’avais consacré une longue série aux Alpes suisses, à leurs territoires, leurs passés et leurs devenirs. Pas moins de cinq articles nous avaient permis d’avoir les idées claires sur le phénomène alpin qui touche la Suisse de près. Ils sont aujourd’hui publiés dans Les Alpes du futur :-)
Aujourd’hui, nous partons dans les Grisons pour une série de quatre articles : celui d’aujourd’hui sera géographique, les deuxième et troisième seront historiques. Chemin faisant, notre dernier article pourra être consacré aux enjeux présents et aux défis de demain.
Viva la Grischa !
Séverin

1/12. Dans un monde en mouvement constant, pourquoi revenir à la structure ? Eh bien, il me semble que les avis les mieux outillés sur le devenir des Alpes ne sauraient faire l’économie d’une connaissance précise de ses territoires. À quoi bon parler “transition”, si on ne connaît pas la structure de départ ?
Dans un discours, l’impressionnisme des connaissances de terrain aboutit souvent à des solutions mal adaptées, prises de haut et au loin, à partir d’idées toutes faites sur ce que sont les Alpes (en gros, de la neige et des télésièges), et colportant des concepts hors-sol… donc voués à l’échec.
On se doit de faire mieux, beaucoup mieux.
On doit situer les choses.
2/12. Plus grand canton suisse par la superficie, les Grisons sont d’une rare complexité géographique, historique et… donc politique. Au contraire du vieux Tyrol aujourd’hui découpé en deux sur la ligne du col du Brenner, les Grisons sont une survivance des États-cols médiévaux.
Avec les Grisons, la frontière italo-suisse est souvent reportée de l’autre côté des cols alpins, vers le sud, au commencement de la plaine du Pô. Ce sont les petites “pattes” italophones qu’on distingue au sud du canton (Moesano, Bregaglia et Poschiavo).
Jusqu’en 1803, c’étaient aussi Sondrio, Tirano, Bormio et Chiavenna qui étaient grisonnes. Bref, la Valteline, voire plus.

3/12. Fruits d’une histoire et d’une géographie à la croisée de tous les chemins, les Grisons puisent leur force dans une histoire pluri-millénaire revigorée par les époques médiévale et moderne. Enfin, les XIXe et XXe siècles propulsèrent les Grisons dans les émotions fortes du capitalisme, pour le meilleur et le plus douteux. Nous y reviendrons la fois prochaine :-)
Commençons par situer les Grisons dans la carte de l’Arc alpin qui suit. Les voici plus ou moins au centre des Alpes, à la jonction de la Suisse orientale, de l’Autriche et de l’Italie. La France alpine, quant à elle, est assez loin.
4/12. Du côté des ordres de grandeur, les Grisons s’étendent sur 7105 km². Ce qui en fait le plus vaste canton suisse (1/6ᵉ du territoire de la Confédération helvétique). En d’autres termes, il pourrait contenir… 25 cantons de Genève !
Cependant, les Grisons sont plus de deux fois moins peuplés (202 000) que le petit mais remuant canton romand (514 000 habitants). Autrement dit, la densité grisonne est 60 fois inférieure à celle du canton de Genève !
Enfin, il est étonnant de constater que la morphologie des Grisons les font ressembler (un peu) à une mini-Suisse. C’était la pensée philosophique du jour.
5/12. Ajoutons que le canton des Grisons tutoie les superficies de la Province autonome du Südtirol italien (7400 km²) et, en France, du département de l’Isère (7431 km²). En revanche, les Grisons sont plus vastes que la Savoie (6028 km²) et le canton de Berne (5949 km²), plus grands encore que le Valais (5224 km²) et la Haute-Savoie (4388 km²).

6/12. Après le contenant, réfléchissons au contenu, bref aux dynamiques générales.
En quelques mots, comment s’organisent les Grisons ?
Pour comprendre une région aux 150 vallées, le plus efficace est de s’adresser au grand personnage des Alpes, à son principal agent de transformation : l’eau. Plus qu’en plaine, les cours d’eaux alpins nous renseignent sur les principales dynamiques des territoires de montagnes, des glaciers aux alpages, des sources aux ruisseaux, des lacs aux barrages, des rivières aux fleuves, des points de passage aux villes.
En bref, connaître sa géographie des cours d’eaux, c’est savoir où la vie est possible et sous quelles conditions. Du haut vers le bas, partout la gravité et la contrainte impriment leur marque sur les Alpes.
7/12. Dans la carte ci-dessous, vous pouvez retrouver les principaux cours d’eaux, autrement dit les principales forces au travail dans les Grisons.
Le Rhin naît dans les Grisons non loin du col de l’Oberalp. À partir de Coire/Chur, le Rhin oblique vers le Nord, traverse la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas et, enfin, se jette dans la mer du Nord.
L’Inn voit le jour en Haute-Engadine. Son cours tend immédiatement vers l’Est et l’Autriche. Il finira par nourrir le Danube et, donc, la mer Noire.
La Calancasca, la Moesa, la Mera et la Poschiavina regardent vers le Sud. Tributaires du Tessin ou de l’Adda, leurs eaux nourrissent indirectement le Pô et la mer Adriatique.
Notez enfin que le Rhône n’appartient pas aux eaux grisonnes (il est de l’autre côté du massif du Gothard). Après avoir pris sa source en Valais, le Rhône se jette dans le Léman puis reprend son cours vers la mer Méditerranée.

8/12. D’emblée, les eaux grisonnes placent la Suisse alpine à la jonction de trois Europe : celles du Nord, de l’Est et du Sud. Il ne manque que celle de l’Ouest.. à laquelle la Suisse alpine, on l’a dit, est raccordée par le Rhône (et même dans ce cas, les Grisons sont à deux cols de la vallée du Rhône, l’Oberalp puis la Furka via Andermatt).
Ouverts aux quatre vents, les Grisons se signalent par une très longue frontière internationale avec l’Italie (de la Lombardie au Trentin-Südtirol), avec l’Autriche (länder du Vorarlberg et du Tirol) et, enfin, avec la principauté du Liechtenstein.

9/12. Notez que 90% du territoire grison se situent au-dessus de 2100 mètres tandis que son altitude moyenne est de 1200 mètres. Autrement dit, tout concourt à une faible densité de la population, hormis dans les vallées. S’ils occupent 17% de la superficie du territoire suisse, les Grisons rassemblent seulement 2% de la population nationale.
On retrouve là un trait caractéristique de la montagne suisse : très présente physiquement et dans les imaginaires, elle est cependant très contrainte par le relief. Comme elle pèse peu démographiquement, les villes de la plaine ont tendance à lui dicter sa conduite. La partie n’est pas perdue : le XXIe siècle sera riche de défis et d’opportunités dont les montagnes (pas seulement suisses) devront s’emparer.
On en avait longuement parlé il y a deux ans dans ma série sur Les Alpes suisses, notamment dans le premier volet “Les connaître vraiment, par-delà les apparence”.
10/12. La faible densité de la population grisonne se retrouve dans sa hiérarchie urbaine. Sa capitale, Coire/Chur, compte… 41 000 habitants. Deuxième ville alpine de Suisse (après Lucerne, 83 000 habitants et devant Sion, 35 000), Coire pèse peu dans la trame urbaine de l’Arc alpin.

11/12. À l’échelle alpine effet, on retrouve Coire loin derrière Chambéry (60 000), surtout Innsbruck et Annecy (130 000). Quant à Grenoble, elle est hors d’atteinte. La ville iséroise est onze fois plus peuplée que Coire (450 000 habitants).
Ce qui compte est ailleurs. Depuis l’Antiquité, Coire tire profit d’être à la croisée des chemins alpins qui relient Zurich, Milan et Munich. Lieu de rassemblement des Rhètes au débouché du Rhin “alpin”, puis siège d’une cité romaine (Curia Rhaetorum), Coire/Chur est devenue au Moyen âge un des plus grands évêchés alpins.
Cependant, sans aucun doute, l’histoire fragmentée des Grisons a limité l’expansion et la primauté de son chef-lieu sur les territoires.
12/12. Finissons avec Davos, deuxième ville du canton avec 11 000 habitants. Elle est l’héritière d’un village walser établit à 1560 mètres d’altitude. Davos est entré dans le XXe siècle comme un des lieux fondateurs du tourisme alpin à destination des élites européennes et mondiales. On en reparlera.
Contrairement à ses concurrentes proche (Saint-Moritz) ou lointaine (Zermatt, Valais) qui ronronnent franchement dans le tourisme de luxe, Davos est une place notable de l’innovation alpine, avec notamment le Prättigau/Davos Lab, antenne davosienne de la Fachhochschule (Haute-École des Sciences appliquées) de Coire.
Et pour citer Jean-Louis Tuaillon (que je remercie) : Davos est aussi à la pointe européenne de la nivologie avec le SLF (Institut pour l'étude de la neige et des avalanches) : “longtemps en avance sur les autres pays, la Suisse a été à l'origine de cette toute jeune science et est toujours leader dans le domaine”.
Pour résumer notre article, disons que, dans le temps géologique, l’eau est le grand personnage du canton aux 150 vallées. Elle prend toute la place. Dans le temps des sociétés humaines, l’autonomie politique locale (mais connectée à l’Europe par les cols) est, pour sa part, la grande actrice des Grisons. Il faudra en rendre compte et en tirer les leçons pour les autres terres alpines.
Comme c’est souvent le cas dans les Alpes, notre connaissance des Grisons passera par une lente appropriation du tissu des vallées, des pays, des petites villes, des bourgs et des villages qui recouvrent le territoire.
Ce sera l’objet de notre prochain article qui aura pour thème l’histoire des Grisons, à la fois très locale et très européenne, bref parfaitement alpine :-)
En attendant, portez-vous bien.
Séverin
Auteur de
Les Alpes du Futur (
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severin.duc@backfuture.fr
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