Leçons d'Ukraine (2/3). Les Lauriers sanglants de la résistance
En dépit des destructions, la résistance de l’État-nation ukrainien a donné une leçon au monde. Cependant, son présent et son futur, empoisonnés par la violence, doivent être questionnés.
Je me souviens précisément du 24 février 2022. C'était un jeudi gris. Partout où elles le peuvent, les colonnes russes franchissent la frontière sous l’œil des caméras de surveillance. Des files de camions pénètrent le territoire ukrainien, sans résistance, comme des touristes de la mort. Les forces spéciales russes, elles, sautent déjà sur l'aéroport de Hostomel, au nord-ouest de Kiev.
La nouvelle m’assomme. Puis mes nuits se peuplent d’insomnies. Et celles d’autres autour de moi. Tout semble tenir à un fil.
Étourdissante par nature, une guerre suppose, une fois la stupeur passée, d’avoir l'esprit le plus rationnel possible. Plutôt que d’acheter des pastilles d’iode, je vais acheter des cartes de l’Ukraine. Et je commence à étudier les ordres de bataille. Pour penser, il faut savoir. Et muni de ce savoir, on a le devoir d’écrire.
1/6. Le mars 1er mars, je propose un premier papier. Le titre - « Kiev peut tenir » - est à la fois osé et confiant. Les données militaires ne mentent jamais : « Pour prendre une position, il faut mobiliser 3, 4, 5 assaillants, voire plus, contre un défenseur. Inversement, pour les défenseurs, sans ravitaillement ni troupes fraîches, le siège peut se transformer en lente asphyxie. La bataille de Kiev ne fait que commencer... et celles de Kharkov et de Kherson aussi ».
Aujourd’hui, mardi 13 décembre 2022, Kiev, Kharkov et Kherson sont libres de soldats russes. Je craignais alors que, sciemment, le pouvoir russe travaille à la brutalisation des populations civiles et à la démodernisation de l’Ukraine. Comme en Afghanistan et comme en Tchétchénie.
2/6. Dès le mercredi 9 mars, de nombreux soldats tchétchènes sont transférés en vue de la bataille de Kiev. La nouvelle me glace le sang. J’essaie donc d’y réfléchir. Je me demande si le conflit ne prend pas la forme d’une guerre coloniale. Je crains que la Russie entame « une guerre longue, sale, dans ce qui doit devenir une marche “brûlée” de l’Empire. Une guerre de plus en plus “démodernisée” au gré de l’usure matérielle des armées, dirigée contre les civils, champ de bataille des guerres de colonisation ».
La nouvelle de Boutcha tombe le 1er avril 2022. Depuis lors, il s’ensuit une effroyable litanie. Il faut l’écrire et le lire pour le croire.
Meurtres et viols de masse, guerre de tranchée et duels d’artillerie meurtriers, destruction de Marioupol, anéantissement d’Azovstal (le plus grand combinat métallurgique d’Europe déjà détruit par l’armée allemande en 1943), enrôlement des prisonniers dans l’armée russe, destruction systématique des infrastructures civiles, etc.
Une guerre donc, et pas n’importe laquelle. Une guerre qui vise le peuple ukrainien, et qui détruit aussi, ne l’oublions pas, le peuple russe, à commencer par sa jeunesse.
3/6. À ce titre, que sont devenus les massacreurs de Boutcha, les soldats de l’odieuse 64e Brigade de fusiliers motorisés ?