Croire en l'industrie alpine (1/3). Nouveaux imaginaires pour un secteur d'avenir
Aujourd'hui, je commence une série consacrée à l'industrie alpine, à ses atouts et ses défis. Bref, on va s'intéresser à un secteur-clé de nos montagnes et de leur futur !
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mon livre Les Alpes du futur sur le site des Editions inverse.
Cet été a été magnifique entre Suisse, Südtirol et Savoie. Agrémenté de la publication de mon livre “Les Alpes du Futur”, il s’est achevé par une superbe fête alpine dont j’ai eu l’honneur d’être le modérateur.
Donnée au col du Petit-Saint-Bernard, la Fête des Alpes avait pour but renforcer les liens entre la Savoie, la Vallée d’Aoste, le Piémont et les Alpes de Haute-Provence. Elle a tenu toute ses promesses. L’an prochain, rendez-vous est donné au Col du Mont-Cenis !
Aujourd’hui, je reprends le chemin de l’écriture en vous proposant le premier article d’une série qui me tient extrêmement à cœur : l’industrie alpine.
Je vous en souhaite bonne lecture,
Séverin.
1/11. Depuis de longues décennies, l’industrie alpine est le parent pauvre des imaginaires alpins. Parfois, il ressemble à ce cousin mal fagoté portant des habits des années 70 et… dont on a un peu honte car il ne respecte pas l’environnement.
Il faut dire que l’industrie alpine a été sévèrement battue par les flots. Sur place, ses excès (notamment contre la nature) lui ont fait perdre la bataille de l’image. Au large, la mondialisation l’a mise en grande difficulté.
Cependant, l’industrie alpine n’a pas sombré. Elle s’est même transformée. Depuis 20 ans au moins, elle a donné naissance à une nouvelle génération d’entrepreneurs et d’entreprises, de productions et de produits. Le temps est venu de le faire savoir au monde.
2/11. Le temps est venu de redorer son blason, de communiquer avec fierté et enthousiasme, toujours avec honnêteté, le tout avec un amour des Alpes chevillé au corps. L’enjeu est de taille : retrouver une place de choix dans les imaginaires des décideurs alpins et des populations locales…. et dans les Alpes de demain.
Pour aller de l’avant, il faut commencer par résoudre un paradoxe entre la mauvaise réputation de l’industrie alpine traditionnelle et le dynamisme de la nouvelle génération d’entreprises. Si vous le voulez bien, essayons d’éclairer ce paradoxe pour ouvrir la voie à des solutions concrètes et enthousiasmantes.
3/11. Au cours des deux derniers siècles, l’industrie alpine la plus visible reposait sur l’extraction de matières-premières suivie de leur transformation grâce à la puissance hydroélectrique.
Pendant la première moitié du XXe siècle, les Alpes industrialisées signifiaient progrès, richesse et développement. Les enjeux environnementaux et sanitaires passaient après. En un mot, le capitalisme alpin avait la confiance.
4/11. Tout commença à buter avec les grands projets de barrage qui signifiaient une violence technocratique imposée aux populations montagnardes (ainsi les barrages de Resia au Südtirol ou de Tignes en Savoie).
D’autre part, la perte de rentabilité et les fermetures nettes, la globalisation et les délocalisations ont brutalisé l’industrie alpine traditionnelle à partir des années 70-80.
5/11. Dans le même temps, un autre secteur captait toute la lumière… en proposant à ses clients d’échapper aux affres de la société industrielle.
Loin de la pollution, le tourisme alpin, en particulier hivernal, promettait la neige, la pureté et le repos, le grand air, le bronzage et le ski total. Le grand élan impulsé dans l’entre-deux-guerres n’a cessé de se renforcer à grands coups de campagnes publicitaires.
Comment lutter ?
6/11. Face à un tourisme orgueilleux de son offre et de sa clientèle, disposant d’une forme de frappe marketing mondiale, les territoires alpins ont peiné à promouvoir avec le même enthousiasme et la même force de conviction leur remarquable secteur industriel.
Aujourd’hui encore, les territoires alpins se démènent à valoriser leur tourisme et font trop peu pour impulser et soutenir une communication ambitieuse au profit de leur tissu industriel.
Mais comment changer les choses ?
7/11. Tout d’abord, l’industrie alpine ne doit pas entrer en concurrence d’image avec les thèmes développés par le tourisme. Elle sera nécessairement perdant. Elle doit ouvrir sa propre voie, avec son histoire, ses codes et ses ambitions.
En effet, comment lutter face à une pente enneigée, un bouquetin et son cabri ou une femme toute bronzée qui vous sourit ? On ne va pas mettre un lynx sur une plaque d’aluminium ! Quoique…
Alors comment faire ?
8/11. Commençons par dire que les cibles d’une bonne communication industrielle ne sont pas les mêmes que celles du tourisme. Ses clients ne sont pas des étrangers qui aiment qu’on leur vende des vacances cartes-postales et des “points de vue instagrammables”.
9/11. A rebours de la mise en scène touristique, l’industrie doit faire varier le “principe de responsabilité” en direction de trois groupes-cibles au moins : les entreprises clientes, les populations locales et les décideurs alpins.
Aux clients, on proposera la proximité, l’excellence des produits et le professionnalisme.
Aux populations, une présence économique à toute épreuve, et un soutien central à la vie sociale, sportive et culturelle des Alpes.
Aux décideurs, un secteur d’avenir, pilier de l’économie alpine, sur qui on peut compter et qu’il faut soutenir en retour.
En bref, l’industrie alpine doit apprendre à valoriser ses très hautes compétences, son amour du territoire et sa robustesse face aux défis à venir.
10/11. Pour l’industrie alpine, la période est d’autant plus propice que le tourisme, notamment hivernal, doit gérer une image éreintée. Ayant trop longtemps misé sur sa rente réputationnelle, le secteur ne communique pas beaucoup en direction des populations locales.
A court terme, nombreux sont ceux à douter du respect touristique de l’environnement… qu’il s’agisse de la dérivation des eaux vers des retenues collinaires, d’un système de mobilité essentiellement axé sur la voiture et de sa politique d’attraction mondiale de riches touristes venant en avion.
Quant au long terme, le tourisme peine à convaincre de sa pleine participation à la robustesse économique des Alpes (“Skiera-t-on en 2050 ?”). Dans beaucoup d’endroits, on voit encore les Alpes avec les yeux des années 1980 : une cash-machine et un espace à creuser pour élever des centres de vacances.
11/11. Vous le savez déjà, mais il faut le répéter : les Alpes ne sont pas en train de changer, elles ont déjà changé. Tous les secteurs doivent adapter leur stratégie économique et, pour la porter, élargir leur communication aux décideurs alpins et aux populations locales.
Le temps est venu de convaincre celles et ceux qui sont en première ligne. C’est une opportunité formidable pour l’industrie alpine car, elle aussi, est en première ligne du dérèglement climatique.
Une industrie alpine moderne et sensible à ses territoires pourrait étonner le monde par une communication enthousiasmante, adaptée aux temps nouveaux et dirigée vers les Alpins et les Alpines.
La cause est d’autant plus vertueuse que les réponses montagnardes au dérèglement climatique (dans les hautes-terres et vers les vallées) devront passer nécessairement par une industrie alpine robuste… au service de nos beaux territoires.
La fois prochaine, nous décrirons, avec passion, les mutations récentes de l’industrie alpine et envisageront, avec enthousiasme, son rôle stratégique dans les Alpes du futur.
En attendant, portez-vous bien.
Séverin Duc
expert du changement et de son accompagnement dans les Alpes.
auteur de
Les Alpes du Futur, Editions inverse, 2024.
docteur en histoire & chercheur associé (Sorbonne Université).
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