Les Alpes du Futur (3/4). Remettre la main sur son territoire
Quand on veut "changer de point de vue" et "regarder les choses en face", on ne peut s'arrêter à flanc de coteau. On doit établir des scénarios politiques et proposer des solutions collectives.

Que mes ami.e.s du plat-pays me pardonnent, les Alpes continuent d’être au menu de Back/Future. Assumons-le : elles ont composé l’entrée et le plat de janvier ; elles formeront le dessert, et même sa poire et son fromage. De quoi avoir de l’énergie pour écouter le Format K7 (sur Spotify ou Substack).
1/6. Au moment où j’initiais gaiement “Les Alpes du futur”, j’avais imaginé trois volets. Deux sont désormais ouverts. J’ai proposé de changer de point de vue (comment reprendre possession de notre regard sur les Alpes) puis de regarder les choses en face, calmement (la spécialisation touristique risque d’être frappée par la “malédiction de la rente”).
Cette semaine, en ouvrant un troisième et dernier volet, je pensais conclure en beauté par une farandole de solutions. Puis vint le dimanche …tic tac… le lundi …tic tac… le mardi …tic tac… le mercredi… Mes pensées se bousculaient au portillon mais quelque chose ne se formalisait pas. Mes ébauches étaient denses d’idées comme une foule de skieurs aux abords d’un télésiège (comme celui de l’Arpette : blague d’initié).
Celui qui écrit sait que l’écriture ne se commande pas. Pourtant, elle n’est ni magique ni un outil de torture. Elle navigue entre l’inconscient refoulé et le désir de dire. Par conséquent, il faut être ouvert quand elle arrive… même à 23h44. Là, il faut éteindre Seinfeld (la meilleure série de tous les temps) accueillir ses pensées, écrire à bride à battue et, finalement, se coucher à 5h27.
Deux minutes plus tôt, le ComEx de Back/Future tranchait dans le vif. La semaine prochaine, nous consacrerons un article complet aux futurs innovants de l’économie alpine. Aujourd’hui, on se concentrera sur les richesses humaines de l’arc alpin et leurs rôles dans les changements à venir.
Back/Future propose de prendre de la hauteur.
2/6. L’Arc alpin, ce sont 13 millions d’habitants répartis (inégalement) sur 190 000 km². On y a longtemps opposé les fonds de vallées (peuplées à l’année) et les altitudes (tantôt désertes tantôt visitées par le tourisme).
A partir de ces passés différenciés, on peut se demander comment les multiples territoires des Alpes vont affronter les défis de la décennie 2020. Les réactions au changement ne seront pas unifiées. Elles navigueront entre résistances, inerties et innovations. Une des clés résidera, sans nul doute, sur la capacité des populations locales à s’emparer du thème du changement.
Cela dit, je refuse d’emblée les notions de “gagnants” et de “perdants” qui suggèrent, au mieux du sport, au pire une lutte à mort. En effet, le sport n’est pas une bonne métaphore pour parler de politique. Le sport est anti-politique : l’unité et la victoire passent par l’anéantissement de l’autre. Entre elles, les montagnes valent mieux que cela. Je propose plutôt de penser les territoires en termes de vies, de populations et de prospérité.
Pour se faciliter la tâche, on peut se représenter l’Arc alpin comme un vaste archipel du Pacifique. Toutes différentes, ses îles sont cependant confrontées au même océan qui ne cesse de monter et de se réchauffer. Regardons les températures de la Suisse. Depuis 1998, les Alpes ne vivent plus une alternance chaud/froid mais s’épuisent dans une chaleur croissante.
Dans ce cadre, je propose de distinguer au moins deux types de lieux : les “territoires vivants et diversifiés” et les “espaces récréatifs moribonds”.

3/6. Comment viabiliser un territoire, le renforcer économiquement tout en l’adoucissant écologiquement ? Les lieux qui auront affronté ces trois questions seront les “territoires vivants et diversifiés” des Alpes du futur.
Où seront-ils ? Je l’espère un peu partout dans l’arc alpin, là où les populations locales auront pris en main leur avenir. Je crois fermement en la puissance de l’initiative individuelle conjuguée à la mobilisation collective. Je pense, par exemple, à un engagement local qui oublierait un peu les enfants-présidents en scooter ou en command-car. Là aussi, les Alpes méritent mieux. Alors, un instant, mettons de côté le Conseil fédéral, le Quirinale, le Bundeskanzleramt, le Slovenski parlament ou la Présidence de la République.
Rien que de le dire, cela fait du bien ! J’ai envie de parler de Morbegno et de ses pizzoccheri, plutôt que des agapes de l’Élysée (Notez que Back/Future prend une inquiétante courbure anti-jacobine).
Repartons donc de ce qui compte vraiment : les populations locales. Le présent appartient déjà aux territoires les plus autonomes. Je pense aux magnifiques Grisons (Suisse) et à la mosaïque du Trentino-Alto Adige/Süd Tyrol (Italie).
Sans aller jusqu’aux votations cantonales, en place publique et à main levée des landsgemeinde de Glaris et Appenzell, le futur appartiendra à toutes les populations qui se mobiliseront pour elles-mêmes. Ce seront elles qui feront émerger des idées et et des représentants qui… représenteront la montagne elle-même et non des intérêts fixés sur la rente touristique.
Seule la mobilisation collective pourra empêcher la perpétuation de projets brutalisant des biotopes en détresse. Le bras-de-fer qui se joue à la Clusaz (Haute-Savoie) est un cas d’école. Il oppose des édiles (du passé) et une autorité préfectorale (hors-sol) à une mobilisation collective locale. A ce jour, cette derniète a trouvé gain de cause devint la justice.
4/6. Dans les Alpes, les territoires seront vivants de l’engagement de leurs populations. Ouvertes aux problématiques du monde, elles se seront dotées de leviers économiques diversifiés. On en parlera la semaine prochaine. Elles auront surtout pris conscience que les hautes-terres ne peuvent plus seulement “s’auto-exploiter, s’offrir et servir”. Elles devront “être et prospérer”.
Et là, pourquoi ne pas citer Jean-Paul Sartre ? Quand ses pavés ne servent pas à caler les canapés, cette vieille marmotte est parfois utile. Selon le philosophe, l’Être n’est pas donné une fois pour toutes, gagné ou perdu d’avance. Être, c’est persévérer dans sa volonté d’exister et son désir de vivre… toujours et encore.
Quand je ferme les yeux, j’imagine les “territoires vivants et diversifiés” comme des lieux où les édiles, les populations et le tissu économique agiront en cohérence avec le bien suprême : la montagne. Collectivement, ils auront regardé en face les défis. Ensemble, ils se seront retroussés les manches pour les relever et avancer ensemble. Toutes et tous auront remis sur le métier leur modèle économique, social et politique de développement. Unis, ils auront trouvé des solutions, donc les possibilités d’un futur prospère.
5/6. A l’opposé des “territoires diversifiés et vivants”, parlons à présent des “espaces récréatifs moribonds”. Pendant longtemps, on distinguait deux types de montagnes. Lesdites “perdantes” de la Révolution industrielle, jamais converties au tourisme et vidées de leurs populations. Ainsi de nombreuses vallées du Piémont. On leur opposait les “gagnantes” dopées à l’or blanc : les Alpes françaises du Nord, le Valais, l’Oberland bernois, la Haute-Valteline, les Dolomites ou encore le Tyrol autrichien.
Depuis quelques années, de nombreuses stations de ski de l’arc alpin sont affectées par la “malédiction de la rente”. Sur-spécialisés dans le tourisme, ces espaces récréatifs sont prisonniers de l’économie de rente. Or, cette dernière repose, on l’a vu la semaine dernière, sur une matière-première (la neige) de moins en moins renouvelable.
De là, une dépendance du sillon qui congèle les esprits. Quand on ne pense plus, c’est ce moment où, quand on est devant un mur, on pense qu’il faut l’abattre. C’est ce qu’on appelle l’escalade de l’engagement.
“L’escalade d’engagement peut s’analyser comme une tentative de la part des décideurs de rationaliser les décisions antérieures, par d’autres plus coûteuses, allant dans le sens des premières” (D. Ansel, 2005).
Le traitement infligé au glacier du Pitztal (Autriche) au nom du tourisme est caractéristique. L’attitude de certains édiles tyroliens me fait penser à cette vieille citation tirée de la guerre du Vietnam : “It became necessary to destroy the town to save it.”
6/6. Si elles ne constituent pas des listes alternatives à ces pouvoirs hors-des-temps-nouveaux, certaines populations vont manquer le tournant. La routine clientéliste et le ronron des profits particuliers feront se perpétuer ces maires-promoteurs immobiliers ou ces maires-VRP de groupes touristiques.
On se souviendra de ces maires comme les mauvais généraux de 1940. Menant une guerre moderne avec une pensée obsolète et dépassés par l'accélération des temps, ils sacrifièrent l’armée française et favorisèrent l’effondrement de la République.
Notre chance dans les Alpes, c’est que les équipes politiques, contrairement aux états-majors, peuvent être remplacées. Des alternatives crédibles et charpentées devront leur être opposées. Et cela commence déjà. Plutôt qu’un sauveur (nos sociétés n’y sont plus adaptées), les Alpes ont besoin de listes citoyennes animées par un esprit avant-gardiste.
Partout dans les Alpes, la prospérité reposera sur une répartition équitable des richesses, et donc une gouvernance équilibrée. C’est cette gouvernance qui pilotera avec intelligence la transformation des territoires alpins. Pour avancer, il faudra enfin s’unir de vallées en vallées, d’altitude en altitude. Les Alpin.e.s devront toujours plus apprendre des uns et des autres, se rencontrer, échanger, débattre, se soutenir et s’encourager.
Quant à baisser les bras, ce n’est pas une option.
La semaine prochaine, on sera toujours dans l’Alpe. On se retroussera les manches pour discuter territoires de pointe, vallées dynamiques, villes d’altitude, politique culturelle et innovation technologique.
Puis, au printemps, micro en main, j’irai à la rencontre des projets les plus innovants des Alpes suisses et italiennes. Je vous en rendrai compte via Le Format K7 et ma Newsletter. J’ai hâte.
Séverin D. (LinkedIn)
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